Armée Rouge vs. Wehrmacht : différences de commandement

Ayant récemment lu la biographie du Maréchal Joukov et les mémoires de Von Manstein, ainsi que le déroulement de la Bataille de Koursk (1943) et l’Opération Bagration (1944), j’ai été frappé par les différences fondamentales du concept de commandement dans l’Armée Rouge et dans la Wehrmacht. Je ne prétendrai pas dresser un panorama exhaustif mais souhaiterais mettre en exergue ce qui a le plus retenu mon attention.

armee_rouge_soldat

D’un côté, à la veille du second conflit mondial une Armée Rouge immense, en hommes (1,5 M hommes) comme en matériel (en blindés notamment), mais ayant subi les purges staliniennes de 1938, qui a décimé le commandement, amenant aux responsabilités une foule d’officiers inexpérimentés … mais dociles!

wehrmacht

De l’autre côté, une Wehrmacht héritière d’une longue tradition militaire prussienne, bien formée, et qui en 1939 croit encore pouvoir échapper au pouvoir absolu d’Hitler et de la SS (ceci sera vite réglé, dès Dunkerque !).

Le front de l’Est montrera de manière spectaculaire les différences fondamentales de commandement entre ces deux armées.

Dans l’Armée Rouge:

  • Un corps d’officiers inégalement expérimenté, et des sous-officiers sous-formés, considérés par leurs supérieurs comme des simples soldats… et peu respectés par la troupe
  •  Un commandement extrêmement rigide, transmission des stricts ordres de Staline, du plus haut au plus bas de l’échelle, sans discussion possible. Par exemple : « l’armée doit avancer de 120km en 5 jours, 400km en 3 semaines » etc.
  • Une motivation (mais est-ce que le terme est bien choisi ?) par la terreur, avec le NKVD à l’arrière du front, qui a ordre de fusiller sur place tout soldat rebroussant chemin ou même un peu trainard… Voir pour cela le tristement célèbre Ordre 227 daté de Juillet 1942! Mais au final les résultats sont là.
  • Le peu de considération pour les ressources humaines comme matérielles : il y aura toujours suffisamment de soldats, et à la technicité de l’équipement militaire on préfère le nombre (par exemple la production en masse d’un char simple mais efficace, le modèle T34)

T34

Dans la Wehrmacht:

  •  Un corps d’officiers bien formé et possédant une grande culture militaire, entretenue par de fréquents « Kriegspiel » (simulations de batailles), mais aussi un corps de sous-officiers nombreux et éduqué, respecté par la troupe.
  • Une place laissée à l’initiative personnelle, afin d’atteindre les objectifs militaires, et profiter de l’évolution dynamique du champ de bataille pour « forcer sa chance » ?
  • Une motivation axée sur la performance personnelle, avec en ligne de mire le mythe du héros germanique… et toutes les dérives criminelles qui s’en sont suivies…
  • Une prise en compte des ressources humaines et matérielles : comment préserver les hommes en opérant des retraits progressifs vers des positions mieux défendues, au besoin en en sacrifiant une petite partie. Une recherche des armements les plus perfectionnés, parfois à l’origine de grands succès (le canon de 88 et ses multiples adaptations), mais aussi parfois en concevant des équipements au coût de production élevé et peu fiables (les Panzer V « Panther » et VI « Tiger ») !

panther

En synthèse des conceptions que tout oppose, avec pour toile de fond des contextes humains, historiques, culturels très différents. On connait l’issue de l’histoire, et c’est l’Armée Rouge qui a heureusement vaincu l’Allemagne nazie… Mais à quel prix ? Il me semble que l’image bien connue du « rouleau compresseur russe » soit adaptée.

Par ailleurs, si on regarde à plus petite échelle, celle des batailles entre divisions russes et allemandes de taille équivalente, il semble que l’organisation de la Wehrmacht lui a souvent offert la victoire (nb: je ne dirais pas la même chose des divisions SS, qui ressemblaient plus à des bandes criminelles très idéologisées…), et même parfois une « semi-victoire », quand l’histoire a retenu une défaite. Je pense à la dernière bataille de Koursk (été 1943, Opération Citadelle), très bien racontée dans l’ouvrage de Mr. Jean Lopez [1]. En effet, il est notoire que malgré toutes les forces allemandes jetées dans la bataille, les russes ont victorieusement défendu leurs positions et créé le grand point d’inflexion de la seconde guerre mondiale (d’autres historiens parleront de Stalingrad). Mais quand on y regarde de plus près, le ratio de destruction de blindés est allé jusqu’à 36 chars russes détruit pour détruire un char allemand (!). Pas seulement une question de commandement, bien sûr, le matériel jouant un rôle primordial…

En ce qui concerne le matériel, il faut reconnaitre l’immense mérite de la standardisation du matériel russe. Ce qui a fonctionné pour les blindés (T34, JS1…) au aussi démontré son efficacité dans d’autres armes, comme la production en masse du simple et néanmoins performant chasseur Sturmovik ! Peut-être le meilleur chasseur de la fin du conflit, avec le FW-190 allemand et bien sûr le P51 « Mustang » américain.

II-2 Sturmovik
II-2 Sturmovik

Nota : Je vous invite à relire le déroulement de la bataille de Koursk et me dire ce que vous en pensez, d’un point de vue tactique ? 🙂

[1] Jean Lopez « Koursk, Les quarante jours qui ont ruiné la Wehrmacht » http://rha.revues.org/6783

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RAPPEL : afin d’éviter toute incompréhension, je rappelle que l’auteur n’est pas un nostalgique du 3ème Reich … Au contraire, toute tentative de réhabilitation, ou de révisionnisme du sujet est à bannir! Pour ne jamais oublier les crimes de l’Allemagne nazie, période heureusement révolue.

 

Le point commun entre Heinz Guderian… et Brad Pitt ?

Les blindés, bien sûr !

Brad Pitt a en effet joué dans le film ‘FURY’, sorti en 2014. Excellent film (selon moi en tout cas!), montrant la progression d’un équipage de tank Sherman sur le territoire allemand, dans un 3ème Reich à genoux.

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Et Heinz Guderian (dont la carrière cinématographique ne semble pas aussi conséquente), est lui le militaire tacticien bien connu, instigateur de l’utilisation massive de l’arme blindée dans la Wehrmacht. Les généraux français s’en sont assez vite aperçus lorsque les Panzer ont traversé les Ardennes pendant que les militaires français attendaient à l’abri de la Ligne Maginot.

guderian

Comme je disais donc le point commun est l’arme blindée. Pourquoi ce rapprochement ? Il se trouve que je venais de terminer la lecture (en anglais, donc un peu ardu), du manifeste rédigé en 1937 par Heinz Guderian, nommé « Achtung Panzer » et qui décrit, sur la base du retour d’expérience de la première guerre mondiale et l’utilisation avec succès de chars français et anglais, comment il faudra à l’avenir, investir massivement dans ce type d’armes.

(La légende raconte qu’Hitler aurait lu ce document mais aurait mésestimé les quantités de chars soviétiques indiquées par Guderian… puis l’aurait regretté ultérieurement. Heureusement pour nous !)

Et surtout, Guderian compare les différents types de chars, leurs performances, leurs modes d’approche tactiques … et définit les 3 paramètres clefs d’un blindé:

  • puissance de feu
  • protection (armure)
  • mobilité (poids – fiabilité)

[à propos de mobilité des chars d’assaut, je vous conseille l’excellent article suivant ==> http://panzerbattleguide.be/la-mobilite-des-chars-dassaut/ ]

blindé2

Selon le type de char (léger – moyen – lourd), chacun de ces 3 critères doit être comparé aux deux autres afin de trouver un équilibre satisfaisant. Par exemple, il sera compliqué de concevoir un tank doté d’un canon puissant, de lourdes plaques de protection… et qui conserve malgré cela un poids ‘décent’ afin de ne pas grever sa mobilité ! Je pense par exemple au Panzer VI ‘Tigre’, un monstre de puissance et de technologie… mais peu fiable et trop lourd pour la plupart des ponts sur lequel il devait transiter (en Normandie, par exemple).

Un autre sujet mis en avant par Guderian est la coopération inter-armes (infanterie, artillerie, blindés, aviation). Ceci sera mis en œuvre de manière fulgurante lors de l’invasion polonaise, grâce à l’utilisation répandue de la radio dans la Wehrmacht. L’armée rouge, initialement dépassée sur les aspects technologiques, finira par rattraper son retard et fera preuve d’excellence opérationnelle à la fin de la guerre.

Un autre élément marquant est celui de la surprise. Dissimulation de la massification et attaque surprise sont des éléments déterminants pour l’issue d’une bataille.

En bref, je venais de finir ce livre quand est sorti ‘FURY’, et – sans que je n’ai aucune idée de ce à quoi peut ressembler une VRAIE bataille de chars – à la vision du film j’ai immédiatement pensé : « c’est donc comme ça ! ».

fury

J’ai en effet retrouvé dans le film plusieurs des éléments techniques et tactiques indiqués dans mes lectures antérieures :

  • la dissimulation et la surprise comme avantage majeur dans un combat
  • la difficulté d’approcher à bonne distance de tir sans être (directement) exposé au feu ennemi
  • l’importance du blindage, en profondeur et en inclinaison
  • l’obligation de constituer un équipage soudé, en situation de crise … ce qui est vrai partout!

En conclusion, pour tout amateur de combat de blindés, je ne saurais trop recommander la vision de ce film! N’hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé !

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RAPPEL : afin d’éviter toute incompréhension, je rappelle que l’auteur n’est pas un nostalgique du 3ème Reich … Au contraire, toute tentative de réhabilitation, ou de révisionnisme du sujet est à bannir! Pour ne jamais oublier les crimes de l’Allemagne nazie… période heureusement révolue.

Le livre qui m’a amené (bien plus tard) à créer ce blog

Il y a de cela quelques années déjà un ami passionné de fortification m’a dit « Il y a UN livre à lire absolument pour comprendre le front de l’Est, c’est ‘Le Soldat Oublié’ de Guy Sajer ». Noté.

le soldat oublié

Quelques temps plus tard j’ai emprunté l’ouvrage à la bibliothèque et dès les premières pages j’ai été happé par l’histoire. Une histoire vraie car l’histoire racontée par l’auteur, engagé dans la Wehrmacht au milieu de la guerre. Du côté allemand car de parents français et allemand. Situation intéressante car l’auteur n’est ni un « magré nous » ni un milicien égaré dans la Division Charlemagne. Juste quelqu’un qui a du s’engager dans « son » armée, pour aller combattre les russes. Combat qui au début lui parait juste.

L’ouvrage est très dense et rend très bien les conditions insupportables du conflit à l’Est, la guerre totale entre russes et allemands, et aussi, et c’est là qu’on en arrive à la chose militaire, montre la stratégie globalement appliquée par les généraux allemands face au rouleau compresseur russe. A un contre dix, les divisions allemandes, parfois (souvent ?) en désaccord avec les ordres du haut commandement allemand, ont du opérer des replis défensifs, soit pour protéger un autre corps d’armée, pour rallier une ligne de défense mieux structurée… ou tout simplement permettre au gros des hommes de se replier, quitte à en sacrifier une petite partie.

L’autre aspect militaire qui m’a étonné, est que malgré la différence impressionnante de moyens entre l’armée rouge et la Wehrmacht, les officiers allemands ont souvent réussi à neutraliser des assauts ponctuels russes, voire parfois remporter des batailles, au moins jusqu’en 1943. Comment cela est-il possible ?

A la fin de la lecture de l’ouvrage, je me suis donc retrouvé avec des dizaines de questions d’ordre militaire : comment opérer une retraite défensive ? sous quelles conditions ? avec quels moyens ? comment tenir face au déluge de feu des ‘Orgues de Staline’ ? comment mobiliser ses hommes malgré des conditions de combat de plus en plus désespérées ? quelle est l’importance réelle du matériel vs. la qualité du commandement dans le déroulement d’une bataille ? comment coordonner les différentes armes entre elles ? quel est le rôle d’une couverture aérienne ? jusqu’à quel point faut-il tenir une position ? etc etc (la liste est longue je vous le dis !)

Une fois ces questions posées, il me fallait des réponses. J’ai commencé à lire, lire et lire… Et je n’ai pas fini !

En conclusion je dirai la même chose que mon ami : si vous ne devez lire qu’UN livre sur la 2èmeGuerre Mondiale, c’est celui là : « Le Soldat Oublié », de Guy Sajer. Et tenter de faire abstraction des opinions politiques et idéologiques que l’on perçoit de son auteur, bien évidemment condamnables, comme l’histoire l’a démontré.

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RAPPEL : afin d’éviter toute incompréhension, je rappelle que l’auteur n’est pas un nostalgique du 3ème Reich … Au contraire, toute tentative de réhabilitation, ou de révisionnisme du sujet est à bannir! Pour ne jamais oublier les crimes de l’Allemagne nazie, période heureusement révolue.

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richelieu

Pour les amateurs ou les experts, ceux qui s’intéressent à la tactique militaire, ancienne ou moderne, ses penseurs et ses acteurs, ses théâtres d’opération et ses moyens humains et technologiques… Vaste sujet !

J’ai une affection particulière pour la période de la seconde guerre mondiale et plus particulièrement le Front de l’Est, et serai ravi d’échanger avec eux qui s’intéressent aussi à cette période… Tout en étant bien conscient des horreurs commises par les nazis (non je ne suis pas un nostalgique du 3ème reich), il reste intéressant d’étudier et comparer les aspects tactiques et stratégiques des belligérants.

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Finalement, je vous encourage à intervenir, réagir, proposer d’autres points de vue ou bien des idées de thématiques !

Bonne lecture !

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